
Isabelle Bruno
Axes de recherche
Cycle actuel de recherche (depuis 2016) :
sociologie de l'environnement et de la propriété
Recherche en cours | Quand la mer monte, à qui appartiennent les plages ? Sociologie comparée des conflits d’appropriation et des politiques d’aménagement des rivages maritimes
Du Pérou à l’Australie, de l’Afrique du Sud à la Caroline du Nord, en passant par le Brésil ou le Liban, les conflits d’appropriation des plages se multiplient ces deux dernières décennies. Selon des configurations variables sont à chaque fois en cause les conditions sociales d’accès au rivage, c’est-à-dire l’écart entre le principe du libre accès à un espace public supposé ouvert à tous et la réalité des barrières matérielles et symboliques qui le constitue en une propriété exclusive. Or cette tension tend à s’accentuer sous l’effet d’une double pression. D’une part, un afflux démographique croissant vers le littoral à l’échelle mondiale, dont les indicateurs disponibles s’accordent à montrer qu’il est amené à s’intensifier. D’autre part une érosion côtière dont l’aggravation, sous l’effet conjugué de l’exploitation économique et du réchauffement climatique, provoque le rétrécissement voire la disparition des plages sablonneuses. La raréfaction physique de ces espaces déjà très convoités ne fait qu’exacerber la concurrence sociale pour les occuper, les exploiter, voire les posséder.
Dans ce contexte, cette recherche interroge la multiplicité des conflits d’appropriation des plages pour saisir leurs effets sur les régimes de propriété du littoral. En examinant l’hypothèse d’un mouvement contemporain d’enclosure limitant le droit d’accès au rivage, elle explore non seulement les manifestations matérielles et symboliques d’un processus global d’accaparement privatif des plages, mais aussi la conflictualité sociale qui en découle et, à travers elle, les enjeux de mémoire et les formes de vie associés au territoire côtier. Elle se propose ainsi d’apporter un nouvel éclairage sur les rapports entre formes propriétaires, accès aux espaces naturels dits "vulnérables" et inégalités socio-spatiales.
Habilitation à diriger des recherches (soutenance le 02/12/2024, ENS Paris-Saclay)
Présentation du dossier d'habilitation :
La clôture et l’étalon. Arpenter les lignes du pouvoir en sociologue de l’appropriation et de la quantification.
Deux volumes composent ce dossier d’habilitation à diriger des recherches.
Outre une sélection de publications parues entre 2008 et 2024, le premier volume (407 p.) comprend un mémoire de synthèse présentant la trajectoire suivie depuis la soutenance de thèse, les apports des recherches menées ainsi que les travaux en cours et les perspectives qu’ils ouvrent. L’ensemble trace un itinéraire de recherche qui a cheminé des bureaux de Saint-Gobain à La Défense à ceux du California State Coastal Conservancy à Oakland, des directions générales de la Commission européenne aux entrepôts de Xerox perdus au nord de l’État de New York, des services statistiques ministériels français aux établissements de plage dans la baie de Pampelonne. Sur chacun de ces terrains, l’enquête a interrogé les rapports sociaux de pouvoir et de résistance, leur matérialité et leur productivité. Du pouvoir de classer à celui d’exclure, du « statactivisme » aux conflits de propriété, de l’étalon qui crée des écarts à la clôture qui tient à l’écart, elle a examiné comment les pratiques de quantification et les processus d’appropriation contribuent à produire les inégalités sociales et les ressorts de leur contestation.
Le second volume (545 p.) est un manuscrit inédit intitulé Quand la mer monte, à qui appartiennent les plages ? L’affaire Martin’s Beach : enquête socio-historique sur le pouvoir d’appropriation des rivages et les résistances de l’indisponible (1838-2024). Cette monographie dissèque un cas d’accaparement privatif d’une plage californienne en tenant ensemble la « double nature » de cet espace, indissociablement milieu vivant et invention sociale, bien désirable et biotope vulnérable. À travers l’exploitation d’archives et de documents judiciaires, d’entretiens et d’observations, d’un corpus de presse et d’un questionnaire, elle examine sur la longue durée par qui et comment les rivages ont été constitués en ressources appropriables, tiraillées entre disponibilité collective, valorisation économique et préservation écologique. Au moment où la raréfaction physique des plages de sable exacerbe la concurrence sociale pour les occuper, les consommer, voire les posséder exclusivement, l’hypothèse d’un mouvement d’enclosure global est ici travaillée à partir d’une configuration conflictuelle locale. L’affaire étudiée permet de livrer une analyse située de l’inégale distribution, structurée par l’ordre propriétaire, des opportunités d’usage du littoral et de leur viabilité. Car l’histoire ne s’arrête pas là. De l’emprise à la déprise, elle prolonge le mouvement de dépossession par la question de l’inappropriable et déplace l’attention des inégalités d’accès vers les conditions socialement différenciées d’un retrait des côtes encore tâtonnant.
Composition du jury :
DELDRÈVE Valérie, Directrice de recherche, INRAE (rapportrice)
HIBOU Béatrice, Directrice de recherche, CNRS (rapportrice)
LAVAL Christian, Professeur émérite, Université Paris Nanterre (rapporteur)
LAFERTÉ Gilles, Directeur de recherche, INRAE (examinateur)
NEWFIELD Christopher, Directeur de recherche, ISRF ; Distinguished Professor Emeritus, UCSB (examinateur)
LEBARON Frédéric, Professeur, ENS Paris-Saclay (garant)


Cycle de recherche 2009-2015 :
sociologie de la quantification et du "statactivisme"


Cycle de recherche 2001-2008 :
sociologie des élites et de la construction européenne

