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Axes de recherche

Forme narrative et représentation de l'histoire

La recherche porte sur nombre d'oeuvres où l'on peut postuler que l'ordre du roman implique une certaine conception du temps: structures téléologiques, structures cycliques... Ces structures ne sont pas immédiatement visibles et réclament un travail de recherche et d'élucidation de la part du lecteur. Ce choix implique que l'oeuvre ne présente pas de telles conceptions comme un absolu, mais qu'elles doivent être elles-mêmes interrogées et remises en cause.

Il faut également se demander s'il s'agit d'une conception du temps, un temps qui régirait l'ensemble du monde naturel, ou plus spécifiquement de l'Histoire , c'est-à-dire d'un temps déterminé par des actes humains. Cette interrogation implique de considérer l'oeuvre en son contexte historique et politique, d'où le choix d'approches synchroniques plutôt que diachroniques.

Romans de l'entre-deux-guerre: temps, Histoire, mythe

Les années 20 et 30 ont vu naître en Europe et aux Etats-Unis des oeuvres extrêmement longues, mais exhibant leur rupture avec leurs prédécesseurs: dans un contexte de crise historique et politique, le roman tâtonne en quête de nouveaux modes d'organisation. La séquence narrative devient discontinue voire illisible, notamment sous l'effet du montage (Dos Passos, Faulkner, Döblin). Le temps est hors de ses gonds.

Toutefois le lecteur est incité à dépasser cette impression d'arbitraire et, en rapprochant des périodes distinctes, le montage suggère peut-être une forme de répétitivité, les parallèles macrostructurels étant soulignés par des échos textuels.

Cela rejoint un autre procédé caractéristique des années 20-30 où nombre d'auteurs mettent en place un double mode de lecture: dans Ulysse de Joyce ou La montagne magique de Mann (et bien d'autres de cette période), l'intrigue se déploie dans un espace-temps réaliste tout en réactualisant des modèles anciens voire mythiques; se pose là encore la question de savoir si cette double lecture suggère une répététitivité cyclique de l'Histoire.

Romans du vingtième siècle: stratégies obliques

Les grandes crises du vingtième siècle ont fait naître le concept de l'"indicible": les grandes oeuvres seraient aux prises avec un phénomène qui ne se laisse pas dire, laissant muets les survivants des tranchées de la Première Guerre mondiale et, plus radicalement encore, les survivants des génocides de la Seconde.

Or force est de constater que, loin de renoncer à dire, les auteurs ne cessent de revenir (jusqu'à l'obsession, pour certains) sur ces périodes traumatiques, sur un mode souvent oblique. La recherche porte sur l'une de ces stratégies: le parallèle historique. Au lieu de considérer la période comme unique en son genre, différents auteurs suggèrent qu'elle renferme au contraire un enseignement valable pour d'autres périodes, l'exemple le plus connu et le plus paradoxal étant sans doute le Hongrois Imre Kertész lorsqu'il affirme que son oeuvre Être sans destin, portant sur les camps d'extermination, renferme une réflexion sur le totalitarisme communiste. Plus discrètement, des auteurs comme Aragon ou Claude Simon usent d'écrans, se consacrant en apparence à des périodes éloignées pour représenter des événements récents (vécus). Cela caractérise aussi les deux romans que Christa Wolf a consacré successivement aux figures mythiques de Cassandre et Médée. Comment, à rebours de discours qui veulent y voir des périodes uniques, et au risque de diluer la spécificité historico-politique dans un vague universel, ces auteurs font-ils simultanément le portrait de deux processus historiques distincts?

Ces écrans sont parfois nécessaires pour contourner la censure, ou pour faire entendre une voix dissonnante dans un ensemble trop univoque. Ils peuvent aussi être vus, sous l'angle psychanalytique, comme une façon indirecte d'aborder l'événement traumatique. Mais ils sont aussi déployés en dehors de toute pression politique ou psychique, ce qui suggère que le rapprochement entre des périodes historiques distinctes est une fin en soi.

Le contemporain "informe"?

Le roman du vingt-et-unième siècle est loin d'en avoir fini avec les traumatismes du vingtième. Mais l'effondrement de systèmes politiques et la disparition de pays entiers ont plongé l'époque contemporaine dans une période de flottement et d'incertitude. Ce sentiment caractérise au plus haut point la littérature d'Europe centrale et de l'est, mais s'étend aussi en dehors de cette aire. Le terrain littéraire paraît à la fois miné (puisque tout, jusqu'au choix de la langue, devient polémique) et d'une extrême incohérence. Comme il l'a fait au lendemain de la Première Guerre mondiale, comme il l'a fait dans le sillage de la Seconde, le roman part en quête de sa propre forme: dislocation formelle et incertitudes narratives disent à la fois la gravité de la crise et la tentative de la surmonter, chez des auteurs aussi divers que le Hongrois Laszlo Krasznahorkai, le Tchèque Patrik Ourednik, les auteurs de langue allemande Kevin Vennemann, Robert Menasse et Reinhard Jirgl, les auteurs de langue française Jean-Paul Goux et Hédi Kaddour...

Plus que jamais, la forme romanesque opère des rapprochements entre des périodes distinctes,pour tenter de gagner une vision d'ensemble de l'Histoire, pour rappeler que le sentiment de crise ressurgit régulièrement, et pour souligner que ce sentiment n'est pas purement négatif mais représente au contraire une étape fondamentale de toute réflexion.

Forme narrative et bouleversements formels

Les grandes oeuvres des années 20 sont marquées par nombre de bouleversements formels, désignés le plus souvent par les termes "monologue intérieur" et "montage". Tout au long du vingtième siècle, et jusqu'à la période contemporaine, les auteurs font des expériences autour de ces possibilités formelles. Une part importante de la recherche s'y consacre, postulant qu'il ne s'agit jamais de purs jeux formels mais d'une réflexion fondamentale sur la représentation.

Le monologue intérieur

Cette désignation vague rassemble tout ce que divers auteurs ont mis en place pour représenter la parole ou la pensée du protagoniste. Différents travaux de narratologie ont permis de définir précisément des formes distinctes, avec des enjeux distincts: le "monologue cité" (pour reprendre la terminologie de Dorrit Cohn) n'est pas à confondre avec le "monologue narré" ou style indirect libre.

Sans tomber dans la confusion terminologique, une approche d'ensemble permet de mettre au jour une visée commune: focaliser l'attention du lecteur sur les formes que prend la pensée du personnage, sur la façon dont un langage particulier la formule. Ce faisant, la scène extérieure est médiatisée par les perceptions du protagoniste, par sa conscience particulière et le langage qui le caractérise. Les choix narratolgiques accentuent donc l'aspect hautement subjectif du processus de perception de la réalité.

Le montage

Le terme de "montage" (emprunté au cinéma), comme celui de "monologue intérieur", recouvre une grande diversité de cas de figures qu'il importe de distinguer.

Le montage narratif consiste à effacer les sutures du récit. Dans le genre romanesque, en effet, il existe de longue date des oeuvres polyhistoriques (contenant un grand nombre de récits) et non linéaires (ménageant des retours en arrière voire sauts en avant). Mais alors que le narrateur, d'Apulée à Balzac, a pour fonction traditionnelle d'organiser ces récits, de les introduire et de les hiérarchiser les uns par rapport aux autres, divers grands romans du vingtième siècle effacent ces sutures et ces repères. Les récits s'accumulent de manière apparemment anarchique (chez Dos Passos ou Döblin, par exemple), des plages temporelles sont envahies par d'autres, plus anciennes ou plus récentes (de Faulkner à Simon), ou bien le lecteur est invité à des sauts savamment orchestrés (Cortazar, Pavic, Perec, Roubaud). L'un des effets de montages de ce type est de permettre le rapprochement entre des périodes historiques distinctes, un effet central de ma recherche (voir plus haut), mais ce n'est pas le seul. Il peut avoir une autre visée, celle d'impliquer le lecteur dans la construction d'un ensemble.

Il en va de même pour le deuxième type de montage, plus localisé, consistant à introduire dans le texte une citation qui n'est pas identifiée en tant que telle (sans guillemets ni verbe d'introduction, sans que l'auteur ou l'oeuvre dont elle est tirée soient nommés). Là encore, si le phénomène de la citation est ancien, la particularité d'auteurs comme Joyce, Dos Passos ou Döblin est d'effacer toute suture; le texte ancien est comme avalé par l'oeuvre récente. L'effet le plus marquant est d'accentuer la dislocation: l'oeuvre est visiblement disparate, une macédoine de styles et d'époques; certains auteurs (Dos Passos, Aragon ou Breton) renforcent ce disparate par leurs choix de typographie et de mise en page. Et là encore, on peut postuler qu'un tel procédé vise à impliquer plus fortement le lecteur: à lui de refaire une totalité cohérente à partir de ces fragments disjoints.

Le montage narratif, le montage de citation, participent eux aussi d'une réflexion sur la crise: ils accentuent la difficulté de représenter un présent chaotique, tout en laissant au lecteur la possibilité, et la responsabilité, d'une interprétation.