
Adrien Quièvre
Axes de recherche
Domaines d’enseignement
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Histoire sociale, politique et économique (France-Europe XIXe et XXe siècles)
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Histoire de l’industrie et de la désindustrialisation
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Numérique appliqué à l’histoire
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Histoire du sonorre et de la musique
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Méthodologie de la recherche en histoire
Domaines de recherche
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Histoire sociale et politique (France- Europe XIXe et XXe siècles)
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Histoire des pratiques sonores et musicales en situation de contestation (grève, révolte, manifestation)
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Rapports sociétés et pouvoirs, par le prisme du son et de la musique
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Histoire sensible et corporelle du travail
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Formes et enjeux des mémoires de l’industrie minières et ses territoires
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Restitution historique par le biais des technologies numériques (audio/vidéo)
Résumé de la thèse
Ma thèse, située au croisement de l’histoire sociale, de anthropologie historique et des sound studies, traite du corps et de la voix dans les grèves des mineurs de la Compagnie des mines d’Anzin. Plus précisément, il s’agit dans ce travail de restituer et d’analyser l’ensemble des gestes, des paroles, des sons, des bruits, des musiques et des silences par lesquels les ouvriers et les ouvrières d’Anzin ont mené leurs luttes entre 1833 et 1880. Ce travail a pour origine la lecture d’un ensemble de travaux publiés depuis les années 1970 sur l’histoire des mouvements de contestation de mineurs en France au XIXe siècle. Dans leurs recherches, de nombreux auteurs et autrices insistent en effet sur la dimension extrêmement bruyante et violente des grèves de mineurs. Celles-ci sont présentées comme des épisodes protestataires « tumultueux », « explosifs », « spontanés », « pandémiques » et « sauvages » où semble régner une grande confusion de bruits et de cris. Les mineurs, et plus particulièrement les mineurs du Nord de la France, sont quant à eux décrits comme des ouvriers « agités », « violents », « vociférants », « grossiers » et prompts à de soudaines colères. Cette impression de brutalité est renforcée par la présence de nombreuses évocations et descriptions de cortèges bruyants, huants et chantants à tue-tête.
Ce constat partagé par l’histoire sociale n’est pas sans soulever un certain nombre de questions qui constituent le point de départ de cette enquête : est-ce véritablement et exclusivement par le tumulte que les mineurs, au XIXe siècle, déclenchent et mènent leurs grèves ? Si tel est le cas, pourquoi les mineurs recourent-ils si souvent au bruit ? Comment ces sonorités et ces bruits sont-ils produits ? Par quels gestes, avec quels instruments ou quels objets ? Concrètement, comment est-il possible que des dizaines, parfois des centaines d’ouvrières et d’ouvriers décident, collectivement et spontanément, de cesser le travail en suivant la même modalité d’action bruyante ? Certaines sonorités ou certains gestes sont-ils propres à une grève ou à un lieu spécifique ou, au contraire, existe-t-il des pratiques qui traversent les conflits et les contextes ? Par ailleurs, si le déclenchement des grèves des mineurs est l’effet d’une colère soudaine et incontrôlée, alors comment expliquer la récurrence pointée par les travaux d’histoire de pratiques et de gestes bien spécifiques ?
Pour répondre à ces questions, la thèse propose de reconstituer et d’analyser les grèves minières au plus près des corps et des voix des ouvriers. La thèse se concentre plus particulièrement sur les contestations des mineurs de la Compagnie des mines d’Anzin entre 1833 et 1880, soit une période qui recouvre un total de 17 grèves et deux tentatives de grève menées avant l’entrée en jeu des syndicats de mineurs au milieu des années 1880. Le choix de la Compagnie d’Anzin s’est fait pour plusieurs raisons : son importance historique dans l’histoire de l’exploitation minière en France (elle est, au XIXe siècle, la plus importante en terme de territoire occupé, de poids économique et d’effectifs ouvriers) ; le fait que les grèves des mineurs d’Anzin sont celles que l’histoire sociale cite le plus fréquemment ; enfin, l’abondance des sources historiques permettant de restituer les grèves des mineurs. Ce choix de travailler à l’échelle d’une Compagnie a ainsi permis de prendre en compte et de croiser l’ensemble des sources disponibles sur les grèves survenues à Anzin (documents administratifs, patronaux, journalistiques et judiciaires ; enquête d’Émile Zola à Anzin pour la préparation de son roman Germinal), ce qui n’avait jamais été fait auparavant.
Afin de rendre compte de la richesse et la diversité des pratiques sonores, gestuelles, vocales et musicales des ouvriers en grève, il m’a semblé important que l’étude tente de ne jamais rompre le lien avec les voix et les corps des ouvriers, aussi estompées et éphémères qu’en soient les traces dans les archives. C’est pourquoi, à la mise en forme d’une histoire linéaire des contestations des mineurs d’Anzin entre 1833 et 1880, par ailleurs déjà connue, il a été préféré la restitution et l’analyse des grèves depuis les pratiques et les gestes des ouvriers grévistes. La thèse suit ainsi, à quelques incursions près, les étapes de grèves telles que les mènent les ouvriers, étudiées par le prisme du corps, de la voix et du son : les déclenchements des grèves (chapitre 1) ; les modalités de propagation des conflits et les rapports entre grévistes et non- grévistes (chapitre 2) ; le rôle et l’importance de la musique et du chant dans les pratiques sonores des ouvriers grévistes (chapitre 3) ; les modalités du maintien de l’ordre et de la surveillance sonore dans le bassin minier ainsi que les stratégies des autorités patronales et policières pour mettre fin aux grèves (chapitre 4) ; les tactiques mises en place par les ouvriers grévistes pour contourner la répression et les stratégies de surveillance des autorités (chapitre 5) ; les formes et l’évolution des modalités de négociation entre les ouvriers, les autorités et le patronat (chapitre 6) ; et, enfin les dénouements des conflits et le retour au travail (chapitre 7).
Au fil des chapitres, et depuis l’étude rapprochée des sources, la thèse met en lumière la diversité des pratiques sonores, vocales et gestuelles des ouvriers en situation de grève, comme par exemple : les cortèges arpentant le territoire pour diffuser l’arrêt du travail et propager les revendications, les chansons et les musiques, les passages de nuit dans les quartiers ouvriers pour réveiller leurs habitants et les engager à la grève, les réunions grévistes tenues en secret pour échapper à la surveillance des autorités patronales et policières, les communications codées pour préparer ou prolonger discrètement la grève, les dispersions silencieuses des groupes grévistes dans le but d’échapper aux barrages de gendarmes ou de troupes, les modalités d’opposition, de négociation et d’échanges avec les autorités. La thèse montre que ces différentes pratiques sonores, vocales et gestuelles jouent un rôle central durant les grèves en permettant le déclenchement, la diffusion et le maintien des conflits par la communication et la coopération des ouvriers grévistes.
De l’infra-audible des pratiques contestataires aux cortèges défilant dans la plaine en chantant l’hymne national et différents slogans, jusqu’aux tapages organisés dans les corons ouvriers, la thèse souligne combien les pratiques gestuelles, sonores et vocales des ouvriers mineurs s’établissent sur une gamme étendue de dynamiques et de variations. Ces pratiques mobilisent le corps et la voix dans un rapport sensible et raisonné au temps et à l’espace. Ce travail défend ainsi l’idée que les paroles, les chants, les sons, les bruits et les gestes des ouvriers grévistes d’Anzin au XIXe siècle témoignent, dans un contexte pré-syndical, d’une rationalité des pratiques collectives contestataires. Ces pratiques de lutte et de résistance des grévistes mobilisent et traduisent à la fois leur volonté et leur capacité à agir collectivement et coopérer pour renverser, même provisoirement, le rapport de force qui les oppose aux autorités et aux patrons.