Pierre Nevejans
Axes de recherche
AXES DE RECHERCHE
- Histoire sociale et populaire des cours princières
- Histoire des domesticités
- Histoire des secrétaires particuliers et des pratiques sociales de l'écrit
- Histoire de la diplomatie et des relations internationales
- Histoire de Florence (XVIe siècle)
PROJETS EN COURS
Dans l’atelier de l’historien :
secrétaires et production du savoir historique au XVIe siècle
Ce projet est né de la découverte fortuite de trois lettres inédites de l’historien et homme d’État florentin Francesco Guicciardini (1483-1540), serviteur des Médicis et ami de Machiavel. Ces lettres sont datées de 1537, 1538 et 1540 et adressées à l’un de ses secrétaires, Jacopo Guidi, qui travaille alors au recrutement de secrétaires pour l’atelier du maître, affairé, quant à lui, à l’écriture de son œuvre monumentale, la Storia d’Italia. Ces lettres révèlent qu’il existe un atelier autour de Guicciardini et que les individus qui y travaillent changent au fil du temps. Ce faisant, elles répondent à un débat historiographique à propos du postulat traditionnel quant à Guicciardini, qui voudrait qu’il n’ait eu qu’un (R. Ridolfì) ou deux (V. Bramanti) secrétaires à son service au long de sa carrière. En 2020, P. Moreno rouvrait ce débat en rappelant que différentes mains se cachaient derrière l’appellation générique « secrétaire » des catalogues et renvoyait la question à de nouvelles découvertes en archives d’une part, à une étude de paléographie comparée d’autre part.
Ainsi, mon travail consiste d’abord à révéler la présence des secrétaires de Guicciardini à son service, puis à qualifier et quantifier leur travail.Les lettres, le plus souvent datées et localisées, permettent de quantifier et de qualifier cette action de manière très précise, d’autant plus que nous disposons d’une masse stable d’originaux à travers les fonds italiens (environ 1400). Le cas de Guicciardini permet aussi de réfléchir à la présence de ces secrétaires dans le processus d’écriture des travaux historiques : les documents préparatoires à la Storia d’Italia sont presque tous conservés dans les archives de la famille, temporairement déposées au Museo Galileo (Florence) pour être cataloguées et numérisées par Lorenzo Battistini (FNRS). Couplant l’étude paléographique de ces manuscrits préparatoires avec celle des lettres, je peux rétablir les étapes chronologiques de l’écriture de la Storia d’Italia et, à ce stade, apercevoir les tâches confiées à chacun des secrétaires, que ce soit successivement ou simultanément.
Histoire sociale des domesticités curiales européennes (XVe - XVIIe siècles)
Ces vingt dernières années, l'histoire sociale a été profondément renouvelée dans ses objets et ses méthodes. Elle s’est détachée de la seule étude des catégories populaires pour s’intéresser à des milieux variés, dont les cours princières. Aujourd’hui, ces travaux permettent de redéfinir la cour princière comme un « espace social emboîté » (Hassler et Lemaigre-Gaffier 2020, p. 212), dont les membres gravitent autour de l’exercice du pouvoir, au service du prince et des courtisans, et dont la principale caractéristique tient à la surreprésentation des élites qui s’y trouve et y altère les échelles de valeurs qui meuvent les rapports entre individus (Griffey 2022). Ce projet propose de participer à la poursuite de ce travail de redéfinition des contours de l’histoire sociale et de désenclavement des milieux curiaux, en empruntant une perspective « par le bas » et en se concentrant sur la question du travail domestique. Il s’agit de rompre avec l’idée de Norbert Élias selon laquelle l’étude des domesticités de cour serait contrainte par le relatif mutisme des courtisans à l’égard de celles et ceux qui les servent (Élias 1974). Penser les cours hors de leurs élites est une manière de requalifier notre vision de ces espaces, par l’étude de leurs marges sociales, mais aussi d’interroger les porosités entre les couches sociales et la diversité au sein même de ces couches. C’est pourquoi j’aimerais étudier les travailleurs domestiques des cours princières d’Europe occidentale, du xve au xviiiesiècle, à la recherche de celles et ceux qu’un mémorialiste du xviiie siècle appelle les « gens de peine et de travail » (Edmond Barbier).
Les cours princières européennes de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne constituent un observatoire idéal de l’étude des couches populaires de la société. Du bas Moyen Âge à la fin du xviiie siècle, elles sont marquées par un grossissement de leurs effectifs et une modification de leur rôle par rapport au Moyen Âge classique : à partir du xive siècle, la cour n’est plus la curia regis médiévale mais le lieu de vie du prince et de centralisation du pouvoir, autour duquel s’agrègent des individus participant à l’exercice du pouvoir ou servant ces derniers. La diversité des situations européennes – entre les grandes cours souveraines (Angleterre, France, Espagne, cours impériale et pontificales) et les cours des « petits États » (États italiens, petites cours du Saint-Empire), les cours itinérantes et celles qui se sédentarisent au fil de la période moderne – ainsi que la variété des régimes documentaires et historiographiques, sont une chance pour comprendre la place et la vie des couches les plus basses de ces espaces sociaux et politiques, ainsi que les rapports qu’ils entretiennent avec celles et ceux qu’ils servent. Pour ce faire, j’aimerais proposer de déplacer un peu la focale vers une perspective d’histoire du travail : il s’agit ainsi d’étudier les domestiques qui effectuent les besognes les moins honorables (laver le linge, porter des objets lourds, préparer les châteaux avant l’arrivée de la cour, vider les pots de chambre ou les fosses d’aisance, nettoyer les cuisines, etc.) ; d’interroger leur intégration au système de la cour, puis de s’intéresser à ce qu’est l’expérience d’un individu qui n’est pas à la cour pour l’honneur ni le prestige mais pour y travailler, c’est-à-dire y effectuer des tâches nécessaires au bon fonctionnement de la société. Ce pas de côté implique de continuer à élargir le corpus employé pour écrire l’histoire des cours, vers les actes notariés, les sources judiciaires, la construction des iconographies de cour ou les graffitis palatiaux. Ainsi, étudier les cours princières par l’angle d’une histoire du travail domestique « populaire » permet d’étudier les domesticités de cour autrement que comme une histoire des élites sociales, d’interroger ce qu’est le populaire comme de délimiter les contours du monde des élites, ce qu’est l’imaginaire social que les uns portent sur les autres – réciproquement – autant que les recompositions de cet imaginaire en fonction de l’environnement social dans lequel évoluent les individus.
THÈSE DE DOCTORAT
Thèse publiée sous le titre Diplomaties plurielles au XVIe siècle.
Florence et la France à la fin des guerres d'Italie
(préf. Jean Sénié, Classiques Garnier, 2024)
Ma thèse portait sur les agents diplomatiques de Côme Ier de Médicis envoyés en France entre 1537 et 1559. Les règnes de François Ier (1515-1547) et d’Henri II (1547-1559) sont marqués par des guerres, qui voient s’affronter Habsbourg et Valois pour l’hégémonie dans la péninsule. Dans ce contexte, après l’invasion de la cité par les troupes de Charles Quint (1530), Florence quitte sa tradition francophile pour rejoindre le camp impérial. Ce virage diplomatique accompagne une transition interne, depuis un mode de gouvernement républicain vers un régime de type monarchique, dirigé par les Médicis. Ces deux changements ont longtemps été considérés comme la raison d’une rupture des relations entre Florence et la France, alors même que la période correspond à celle de l’ascension française de Catherine de Médicis, cousine de Côme.
À l’aune d’un large dépouillement des archives florentines, il s’agissait d’abord de rendre caduque la doxa historiographique postulant cette rupture. En tenant compte de la construction des fonds documentaires de l’époque moderne autour d’une conception postérieure de la diplomatie, il s’agit de restituer un portrait plus complexe de ce qu’est ce monde des diplomates de la Renaissance. En analysant le fil de négociations de moindre ampleur, les relations de Catherine de Médicis avec son cousin Côme, les ancrages juridiques variés avec lesquels évoluent les diplomates sur le terrain, ainsi que le rôle spécifique des secrétaires, il est possible de voir les relations franco-florentines comme un bouillon de culture, qui fait apparaître le champ des possibles qui s’offre aux diplomates et aux princes de l’époque, ainsi que les conflits d’usages qui découlent de cette pluralité.