David Alain Mouloungui
Publications
Premier Article :"Les miliciens lettrés Gabonais dans la garde régionale, 1933-1939" Second Article : « Élites policières et souveraineté au Gabon : pratiques coloniales de formation et circulation des compétences, 1950-1959. »
Titre de l'article Les miliciens « lettrés » gabonais dans la garde régionale (1933-1939)
Publié dans le Journal Gabonais d'Histoire Economique et Sociale (JGHES), numéro de Juin-Décembre 2025.
Université Omar Bongo, Libreville-Gabon
Résumé de l’article
La thématique de la professionnalisation policière constitue un champ d’analyse central en histoire militaire et sociale, notamment dans le contexte des sociétés coloniales africaines. Au Gabon, en situation coloniale, la professionnalisation policière renvoie à un processus progressif de qualification, de structuration et d’autonomisation professionnelle des agents chargés du maintien de l’ordre, visant à renforcer leur efficacité et leur discipline dans l’exercice de leurs fonctions. Pour l’administration coloniale, ce processus revêt une importance stratégique, dans la mesure où il participe, à moyen et long terme, à la stabilisation de l’ordre colonial et à l’intégration sociale des agents africains au sein de l’appareil administratif.
La période 1933-1939 correspond à une phase marquée par une fréquentation accrue des écoles missionnaires par les Gabonais, notamment les établissements d’enseignement primaire catholique. Ces institutions jouent un rôle essentiel dans la formation d’une élite subalterne capable de lire, d’écrire et de comprendre les mécanismes de l’organisation coloniale. Dans ce contexte, la notion de « lettré » renvoie à des individus ayant acquis des compétences linguistiques de base en langue française, langue officielle de l’administration coloniale. Elle se distingue de celle de « diplômé », catégorie encore marginale et peu institutionnalisée dans la colonie du Gabon à cette époque. Le lettré est ainsi défini par la maîtrise rudimentaire de la langue administrative, sans validation formelle par un diplôme.
Les miliciens « lettrés » intégrés à la garde régionale gabonaise ne se projettent généralement pas dans une carrière militaire ou paramilitaire de long terme. Leur engagement résulte le plus souvent de réseaux de sociabilité, de recommandations de proches ou de l’influence symbolique de figures perçues comme des modèles de réussite sociale. À cette dimension psychologique s’ajoutent des facteurs socio-économiques et professionnels, notamment les privilèges matériels, statutaires et symboliques attachés au service colonial. L’appartenance aux forces paramilitaires constitue alors un vecteur de reconnaissance sociale et d’ascension relative dans la hiérarchie coloniale.
Cet article interroge ainsi la place spécifique des miliciens lettrés gabonais au sein de la garde régionale et leur rôle dans le processus de professionnalisation policière. L’engagement de ces agents favorise-t-il leur développement socio-professionnel et leur progression de carrière au sein de la police coloniale ? La maîtrise élémentaire de la langue française constitue-t-elle un avantage dans l’accès aux échelons supérieurs de la hiérarchie policière ? Enfin, les politiques coloniales à l’égard des policiers africains, souvent désignés comme « collaborateurs », peuvent-elles être interprétées comme une étape vers une véritable professionnalisation policière au Gabon ?
Pour répondre à ces interrogations, l’étude mobilise un corpus composé de rapports d’archives coloniales, de sources orales et d’une bibliographie spécialisée, permettant de croiser les approches institutionnelle, sociale et professionnelle de la police coloniale gabonaise.
Deuxième publication
Titre de l'article : « Élites policières et souveraineté au Gabon : pratiques coloniales de formation et circulation des compétences, 1950-1959. »
A paraitre dans la Révue des Forces de Police Nationales Gabonaise, Ecole nationale et supérieure de police, Libreville-Gabon.
Résumé de l'article
À partir du début des années 1950, la France entreprend, dans les territoires de l’Afrique-Équatoriale française, un vaste processus de professionnalisation des policiers africains, suivant un modèle déjà engagé en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest. Cette politique se traduit par la légalisation du métier de policier colonial et par la création à Brazzaville d’une école fédérale de police chargée de former les agents municipaux des différentes colonies. Au Gabon, cette institution devient un lieu central de construction d’élites policières africaines appelées à jouer un rôle croissant dans l’administration locale. Durant cette décennie, le transfert progressif de compétences de l’appareil policier colonial vers les autorités gabonaises participe à l’émergence d’une gestion plus bureaucratisée et partiellement autonomisée, malgré la persistance d’un contrôle français étroit. Les modalités de formation, les curricula, ainsi que les pratiques professionnelles diffusées au sein de l’école fédérale témoignent d’une volonté coloniale de créer une main-d’œuvre locale qualifiée, tout en préparant un encadrement intermédiaire capable d’assurer la continuité des structures existantes. Ce processus, bien qu’inachevé en 1959, inaugure néanmoins une dynamique essentielle : la constitution d’un noyau d’agents formés, maîtrisant les techniques policières, la chaîne administrative et les normes disciplinaires élaborées par l’administration coloniale. À la veille des indépendances, ces élites policières représentent l’un des premiers vecteurs de circulation des compétences institutionnelles entre la France et le Gabon. Elles posent ainsi les fondations d’une souveraineté policière en gestation, dont l’affirmation pleine et entière se concrétisera seulement au début de la décennie suivante.