Présentation
- Postdoctorant au laboratoire Curapp-ESS, Université Picardie Jules Verne, sur le projet de suivi qualitatif du recours au Contrat d'engagement jeune (CEJ) - APR DARES.
- Docteur en sociologie, sous la direction de Anne Bory (CNU 19) et Richard Sobel (CNU 05), Université de Lille, Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, CLERSÉ (UMR 8019), en convention CIFRE avec la ville de Grande-Synthe.
Thèse : Transformer l'État social par l'action municipale ?
L'expérimentation du Minimum Social Garanti à Grande-Synthe (Hauts-de-France)
Résumé :
Janvier 2018, le maire de Grande-Synthe, ville industrielle populaire de 23 000 habitant⋅es située dans la périphérie immédiate de Dunkerque, annonce son projet d’expérimenter un « revenu de base » dans sa ville. Alors que le sujet d’une allocation universelle, inconditionnelle et individuelle a été un sujet débattu nationalement durant la campagne présidentielle 2017, l’objectif assumé est de prouver par l’expérimentation locale la pertinence d’une telle mesure. Un an plus tard, en avril 2019 un Minimum Social Garanti est mis en place dans la ville avec pour objectif « d’éradiquer la pauvreté ». Cette aide sociale municipale doit faire parvenir les ressources des foyers des classes populaires pauvres de la ville au niveau du seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian.
Il s’agit dans cette thèse de se demander ce que révèle la mise en œuvre d’une politique sociale locale qui a pour ambition « l’éradication de la pauvreté » des tensions qui parcourent aujourd’hui le champ de la protection sociale.
À partir d’une position de chercheur intégré au sein de la mairie de mars 2018 à juin 2022, cette thèse étudie les différentes étapes d’élaboration et de mise en œuvre du Minimum social garanti. Le premier objectif est de resituer le projet d’expérimentation dans le contexte local d’une ville marquée par l’implantation de l’industrie de l’acier dans les années 1960 qui entraîne un afflux massif d’ouvrier⋅es progressivement exclu⋅es de l’emploi et marqué⋅es par une insécurité sociale croissante depuis les années 1980. À partir de cela, la thèse se penche sur l’action publique locale, qui s’apparente à une forme de socialisme municipal, qui profite dès les années 1970 des ressources que l’industrie reverse à la ville pour développer fortement des services publics et des politiques présentées comme « innovantes » au profit des classes populaires. L’érection de la ville comme un « modèle urbain » et le capital politique du maire sont deux éléments qui permettent de comprendre ce qui mène le maire, Damien Carême, à annoncer, seul, en 2018 ce projet d’expérimentation d’un « revenu de base ». L’analyse des débats théoriques et politiques en faveur d’une telle mesure et les enjeux des projets d’expérimentations (historiques et contemporains, en France et à l’étranger), complétée par une enquête par entretiens et observation auprès d’agents qui portent ou préconisent de tels projets en France permettent de mieux comprendre le projet grand-synthois en le resituant dans des débats nationaux et internationaux.
L’enquête locale sur la mise en œuvre s’intéresse ensuite directement à la manière dont est définie et appliquée la politique sociale locale, et permet de s’interroger sur la manière dont une commune peut agir sur de potentielles évolutions de l’État social. Elle se fonde sur des entretiens avec des agents municipaux et des élu⋅es et de nombreuses observations directes. Les objectifs politiques se heurtent à la manière dont les agents du service social (et notamment les travailleuses du social) appréhendent leur mission d’accompagnement des « assisté⋅es ». Les entretiens révèlent ainsi les différences d’intérêts à la mise en place d’une telle expérimentation ainsi que des divergences dans la manière de juger la légitimité ou non à recevoir une aide en fonction de la position des agents. Enfin, une enquête par questionnaire auprès des attributaires du dispositif (n=313) suivie d’entretiens avec treize d’entre eux permet d’étudier la manière dont l’aide est saisie (dans le double sens de comprise et appropriée) par les premier⋅es concerné⋅es, ce que cela change dans leurs rapports aux services sociaux et son potentiel effet sur un sentiment d’insécurité sociale.