Cogroupes dans les algèbres sur une opérade

Les objets en cogroupe d’une catégorie sont les structures associées aux foncteurs représentables GR(-)=Mor(R,-) à valeurs dans la catégorie des groupes. Les algèbres de Hopf commutatives classiques s’interprètent comme des objets en cogroupe dans la catégorie des algèbres commutatives. J’ai montré que les résultats principaux de la théorie des algèbres de Hopf commutatives en caractéristique nulle se généralisent aux cogroupes dans les algèbres sur une opérade. J’ai ainsi établi : un théorème de structure affirmant que toute algèbre (graduée, complète) sur une opérade P munie d’une structure de cogroupe forme nécessairement une algèbre libre sur P (voir [1998a,1998b]) ; un théorème de Lie donnant une équivalence entre la catégorie des cogroupes dans les algèbres sur P et la catégorie des algèbres sur une opérade P! associée à P (voir [1998d]). Pour les opérades classiques P = Com, As, Lie, associées aux algèbres commutatives, associatives, de Lie, on a respectivement Com! = Lie, As = As!, Lie! = Com. Pour P = Com, je retrouve les résultats des théorèmes de Poincaré-Birkhoff Witt et Milnor-Moore des algèbres de Hopf commutatives.

Cohomologie des algèbres de Poisson

Une variété de Poisson est une variété (différentielle, algébrique) X dont l’algèbre des fonctions régulières OX est munie d’une opération {-,-} : OX ⊗ OX → OX généralisant le crochet de Lie des champs de vecteurs hamiltoniens sur une variété symplectique. Certaines constructions, comme les quotients X/G de variétés de Poisson X sous l’action d’un groupe fini G, produisent naturellement des variétés de Poisson à singularités. La cohomologie de Lichnerowicz-Poisson classique est adaptée à l’étude des structures de Poisson et de leurs déformations sur des variétés lisses. En appliquant la théorie des opérades, j’ai défini une théorie de cohomologie de Poisson HPois(OX) (ainsi qu’une théorie d’homologie), qui se réduit à la cohomologie de Lichnerowicz-Poisson pour les variétés de Poisson lisses, mais qui reste adaptée à l’étude de structures de Poisson sur des variétés singulières car elle intègre de l’information cohomologique reflétant l’existence de déformations de la variété elle-même en présence de singularités (voir [1998c,2006a]). En appliquant les méthodes opéradiques, j’ai aussi obtenu une forme normale pour les structures de Poisson sur les intersections complètes à singularités isolées (voir [2002b]).

Opérades et algèbre homotopique

L’algèbre homotopique de Quillen donne un cadre conceptuel pour appliquer des méthodes de la topologie algébrique à des questions d’algèbre et, inversement, pour construire des modèles algébriques de l’homotopie et résoudre des questions de topologie par les méthodes de l’algèbre. La découverte de la dualité de Koszul des opérades par Ginzburg et Kapranov a permis d’appliquer les méthodes de l’algèbre homotopique de façon effective dans le cadre des opérades. Une retombée importante de la dualité de Koszul est la construction de nouvelles théories homologiques associées aux opérades. Un défaut essentiel de la théorie originale est qu’elle ne s’applique que dans un contexte de caractéristique nulle. J’ai engagé une série de recherches visant à résoudre les difficultés posées lorsque l’on quitte ce cadre. J’ai ainsi obtenu des résultats généraux montrant : comment les opérations de puissances divisées et d’autres opérations polynomiales, telles les opérations de Frobenius des algèbres de Lie restreintes, possèdent une interprétation unifiée dans le cadre des opérades [1997a,2000a] ; comment la dualité de Koszul s’étend aux opérades définies sur un anneau quelconque [2004a] (voir aussi [2009b] pour des applications) ; comment appliquer les méthodes de l’algèbre homotopique aux modules sur les opérades pour construire des modèles effectifs de foncteurs entre catégories d’algèbres [2009a]. J’ai aussi étudié des applications de méthodes de l’algèbre homotopique aux algèbres sur un PROP [2010a] (les PROPs sont des structures, plus générales que les opérades, qui permettent de modéliser des catégories de bigèbres.)

Opérades et modèles de l’homotopie des espaces

J’ai aussi étudié des applications des opérades en caractéristiques p>0 pour modéliser le type p-complété des espaces topologiques et généraliser les modèles de l'homotopie rationnelle de Quillen et Sullivan. Ces recherches font intervenir la notion d’opérade En, n=1,2,…,∞, qui sert à décrire une hiérarchie de structures homotopiquement commutatives. J’ai d’abord construit, dans des travaux avec Clemens Berger [2002a,2004b], une structure explicite d’algèbre E sur l’algèbre des cochaînes d’un espace C*(X) (voir aussi [2016a] pour une application de ce résultat en algèbre homotopique générale). J’ai ensuite montré par une suite de travaux [2003a,2010b,2011c] (voir aussi [2014a]) que la cohomologie des espaces de lacets itérés ΩnX (les espaces d’applications pointées f : Sn → X avec la sphère Sn comme domaine) se détermine en appliquant à cette algèbre de cochaînes C*(X) une théorie homologique naturelle associée aux opérades En. J’ai en outre étudié une version à coefficients de cette théorie d’homologie En dans un travail avec Stephanie Ziegenhagen [2016b].

Opérades E_n et leurs applications

La classe des opérades En est formellement définie comme la classe des opérades qui sont homotopiquement équivalentes aux operades de petits n-disques quand on travaille dans la catégorie des espaces topologiques, comme la classe des opérades qui sont quasi-isomorphes aux opérades de chaînes singulières sur les espaces de petits n-disques quand on travaille dans la catégorie des complexes de chaînes. Mes recherches les plus récentes portent sur l’homotopie de ces objets (voir [2019a] pour un survol). J’ai notamment montré, après avoir développé au préalable une théorie de l’homotopie rationnelle des opérades (voir aussi [2018a] pour ce sujet), que le groupe des classes d’automorphismes homotopiques d’une opérade E2 se réduit, dans le cadre rationnel, au groupe de Grothendieck–Teichmüller rationnel GT(Q) introduit par Drinfeld dans la théorie des groupes quantiques (voir [2017a]). J’ai également obtenu une description en termes de complexes de graphes de l’homotopie rationnelle des espaces d’applications d’une opérade Em vers une opérades En, pour tout n≥m≥1, ainsi qu’un théorème de formalité intrinsèque qui montre que les opérades En sont caractérisées par leur homologie à équivalence d'homotopie rationnelle près (collaborations avec Victor Turchin et Thomas Willwacher [2017pre,2018b,2020a] voir également [2011b] pour d’autres calculs d’espaces d’applications opéradiques, et [2011a,2013a] pour des applications de la dualité de Koszul dans l’étude des opérades En).