** Axes de recherche :

  1. La langue et la littérature françaises du XVIe siècle ;
  2. L'histoire et la poétique de la littérature viatique ;
  3. Le lexique des perceptions sensorielles en littérature ;
  4. Les représentations de l'Amérique et de ses populations autochtones dans la littérature européenne.

 

 

** Résumé de la thèse :

Titre : « Vous avez bien là dequoy vous contenter les yeux, l'odorat & l'appetit ». Usages, fonctions, et enjeux du lexique des perceptions sensorielles dans les récits de voyages français en Amérique (1545-1618)

À la Renaissance, la littérature de voyage se situe au croisement de l’histoire de la découverte de l’Amérique, de l’intérêt porté au corps évoluant dans un environnement inconnu, et, enfin, de l’enrichissement de la langue : discours littéraires et scientifiques s’y rencontrent, car ils se fondent tous deux sur l’expérience et la connaissance. La thèse met en lumière cette pluridisciplinarité en étudiant un corpus de neuf récits de voyages réalisés vers l'Amérique française du XVIe siècle (Canada, Floride, Brésil) de 1545 à 1618 : le Brief recit (J. Cartier), l'Histoire notable de la Floride (R. de Laudonnière), le Discours (N. Le Challeux), les Singularitez de la France antarctique (A. Thevet), l'Histoire d'un voyage faict en la terre du Brésil (J. de Léry), l'Histoire de la Nouvelle-France (M. Lescarbot), l'Histoire de la mission (Cl. d'Abbeville), la Suitte (Y. d'Évreux), Les Voyages (S. Champlain).

Le sujet est abordé sous l’angle du lexique et de l’histoire de la langue française afin d’étudier comment les hommes de la Renaissance percevaient leurs corps, quel était le vocabulaire qu’ils utilisaient pour exprimer les sensations, comment ils en rendaient compte dans les récits de voyage. La thèse envisage ainsi le processus de création lexicale qui s’applique à une nouvelle perception. Comment dire ce qui est inouï, ce qui n’a jamais été senti ? L’étude du lexique des trois sens les moins étudiés par la critique – le goût, l’odorat, et le toucher – permet d'abord d’envisager les liens entre perceptions et sensations, entre ce qui est historiquement vécu et ce que les auteurs-voyageurs traduisent dans les textes. Toute sensation est forcément médiatisée par le langage. Comment rendre compte alors de cette tension entre les perceptions, les sensations et la réalité ? La perspective est également comparatiste : il semble impossible d’étudier ce corpus sans le replacer dans un contexte européen plus large. Enfin, dans une volonté de décentrer l’histoire des savoirs, il importait également de s’attarder sur la tradition orale autochtone : comment les populations américaines, notamment les Premières Nations canadiennes, ont-elles perçu l'arrivée des Européens ?

Une recherche sur le vocabulaire de l’expérience permet de déplacer le point de vue du sujet. La première partie de la thèse envisage les enjeux linguistiques de la reconstitution des perceptions dans les textes : quels sont les termes présents dans la langue française du XVIe siècle utilisés par les auteurs ? Après avoir présenté la méthode et les résultats du relevé lexical (chapitre I), le travail propose une synthèse de l'histoire des cinq sens dans les ouvrages philosophiques, religieux et scientifiques de l'Antiquité au XVIe siècle (chapitre II) avant d'étudier la question de l'autopsie, visuelle et médicale, dans les textes du corpus afin de montrer l'usage narratif qui est fait des passages médicaux (chapitre III).

La seconde partie de la thèse met en regard un discours perceptif subjectif et une théorie de la perception comme mode d'accès à la connaissance. On s'intéresse ainsi aux tensions à l’œuvre dans la littérature de voyages entre une perception vécue, source de représentations authentiques, et une perception codifiée, artificiellement articulée à la nécessité de fabriquer des merveilles, de l'extraordinaire et de l'altérité. Ainsi, le topos de la « première rencontre », étudié dans un corpus plus large de voyageurs européens, est envisagé d'un point de vue historique et littéraire (chapitre IV). Ce topos est ensuite analysé à l'aune de la tradition orale autochtone canadienne dans une perspective décoloniale pour souligner les procédés de réécriture à l'œuvre dans les textes du corpus (chapitre V). Cette fictionnalisation de la perception sensorielle se révèle davantage dans les passages mettent en exergue la perception gustative, porteuse d'enjeux rhétoriques et polémiques très marqués (chapitre VI). Enfin, un dernier chapitre étudie l'importance des éléments paratextuels des œuvres du corpus en montrant que le discours de la perception est codifié dès les « seuils » des récits (chapitre VII).