
Paul Butin
Axes de recherche
Position du corps au travail et optimisation de la performance (Thèse)
Résumé :
Dans les pays industrialisés, la majorité des individus passe plus de la moitié de leurs temps éveillé en position assise, ceci est d’autant plus important pour les travailleurs de bureaux (Gupta et al., 2016 ; Leitzmann et al., 2018). Or, la station assise prolongée est associée à une augmentation des risques de maladies chroniques (Ekelund et al., 2016), de troubles psychologiques (Wang & Fan, 2019) et de déficits cognitifs (Chandresekaran et al., 2021). Limiter cette position assise est donc un enjeu de santé publique majeur. Une des solutions apportées est l’usage de bureaux assis-debout pour augmenter le temps passé debout au travail (Bonnet & Cheval, 2022). Une question clé est d'évaluer l'effet de la posture (assis et debout) et de son alternance sur la performance à court terme (quelques minutes) et la productivité à long terme (plusieurs semaines ou mois). Cette question revêt une importance particulière en France, où ces bureaux restent encore peu utilisés malgré leur adoption croissante à l'international.
Environ 85 % des études ne rapportent pas de différence de performance entre les positions assise et debout (Karakolis & Callaghan, 2014 ; Sui et al., 2019). Ceci s’explique par le fait que la performance est mesurée de manière binaire (réussite ou échec). En revanche, lorsque l’on utilise des mesures continues comme le temps de réaction, on retrouve une performance légèrement meilleure en position debout (Abou Khalil et al., 2023, 2024 ; Barra et al., 2015 ; Rosenbaum et al., 2017 ; Smith et al., 2019). Ces recherches sont menées sur des durées très courtes, ne permettant pas d'observer d'éventuels effets de la fatigue du corps. Sur des périodes plus longues, la station debout prolongée peut en effet entraîner fatigue excessive et inconfort (Baker et al., 2018). L'alternance des positions semble alors une solution pragmatique pour bénéficier des effets positifs de la posture debout sans en subir les effets délétères. Plusieurs études montrent que cette alternance améliore la performance cognitive (Hasegawa et al., 2001 ; Schwartz et al., 2018, 2019 ; Van Steenbergen et al., 2024). Ces recherches suggèrent que l'alternance posturale pourrait optimiser la performance cognitive tout en prévenant la fatigue.
Une question secondaire concerne les mécanismes sous-jacents aux effets bénéfiques de la station debout sur la performance. Plutôt que d'attribuer ces effets au simple changement de position, l'hypothèse avancée est que les oscillations posturales propres à la position debout - et leur adaptation à la tâche - constituent le facteur déterminant. Debout, le corps oscille naturellement (Winter, 1995 ; Woollacott & Shumway-Cook, 2002), permettant une modulation fine par le cerveau en fonction des exigences visuelles. À l'inverse, la position assise restreint fortement cette variabilité posturale. Plusieurs études récentes (Doyon et al., 2021 ; Hajnal et al., 2022 ; Masoner et al., 2020) ont montré que les caractéristiques des oscillations corporelles, notamment celles de la tête, prédisaient significativement les jugements d'affordance visuelle. Toutefois, ces travaux ne comparaient pas directement les postures debout et assise, limitant leur portée explicative sur les effets différentiels des postures sur la performance.
L'objectif général de cette thèse est d'examiner dans quelle mesure la posture corporelle et son alternance influencent la performance, en particulier attentionnelle, au cours de tâches cognitives. L'hypothèse principale postule qu'un certain degré d'instabilité posturale, permis par la position debout libre, améliore l'efficacité cognitive à court terme, et que l'alternance posturale prolonge ces bénéfices sans entraîner de fatigue. Trois études expérimentales examineront ainsi l'effet de la posture et de son alternance sur la performance attentionnelle. La première testera, à court terme, l'influence de différentes postures (assis, debout libre, debout restreint) sur une tâche cognitive. La seconde évaluera, sur une heure, les bénéfices de l'alternance entre assis et debout sur la performance et la fatigue. Enfin, la troisième, menée en entreprise sur un mois, analysera l'impact de l'usage libre de bureaux assis-debout sur la performance en conditions réelles.