Gilles Toulemonde
Axes de recherche
Déterminé à éviter les écueils de l’éparpillement et à nourrir une réflexion personnelle, j’ai, malgré d’autres appétences (en particulier pour le droit administratif), concentré mes activités de recherche sur le droit constitutionnel et le droit parlementaire. Au-delà de la démarche globalisante menée dans plusieurs ouvrages embrassant l’ensemble de la discipline, je me suis plus spécifiquement attaché à travailler sur les garanties de la démocratie, et ce sur le fondement du constat des profondes mutations de cette dernière dont les exigences semblent sans cesse renouvelées. La crise de la démocratie parlementaire voire de la démocratie représentative maintes fois dénoncée apparaît dans ce contexte tout à la fois comme un objet d’études et d’inquiétudes ainsi que cela ressort par exemple de l’atelier « pouvoirs et contre-pouvoirs » du XeCongrès de l’AFDC de 2017 (42 contributions) et dont j’ai animé les travaux avec Alain Delcamp, secrétaire général honoraire du Sénat.
Dans mes recherches, il m’apparaît méthodologiquement indispensable de prendre en compte, avec naturellement le recul analytique du chercheur, la pratique des acteurs ainsi que leur propre analyse des questions étudiées. Conduisant à une fertilisation croisée, cette démarche présente l’avantage de faciliter l’intégration des travaux universitaires dans la société, comme en attestent mes auditions par les assemblées parlementaires (par ex. en 2017 par le groupe de travail de l’Assemblée nationale sur la réforme du travail parlementaire ou encore en 2013 et 2018 par les missions d’information du Sénat sur le vote électronique). Je suis également attaché à l’appréhension non seulement comparatiste mais aussi pluridisciplinaire des problématiques complexes, comme le démontre le projet sur « le Parlement et le temps » dans le cadre duquel j’ai veillé à croiser les prismes en faisant appel aux historiens et politistes, et ma participation au conseil scientifique du FORum INternational sur la Constitution et les Institutions Politiques.
Menés dans cet esprit, mes travaux se déclinent autour de trois principaux axes de recherche.
Axe 1 : L’institution et l’activité parlementaire
Au-delà de la thèse qui portait déjà sur le Parlement de la VeRépublique, j’essaie d’examiner comment les réformes de l’institution parlementaire mais aussi de ses méthodes de travail ont à la fois été dictées par les mutations de la démocratie mais aussi comment elles les ont accompagnées, voire provoquées. De sorte qu’une interaction permanente noue un lien indéfectible entre Parlement et démocratie. Comme le note le Pr. Jean Gicquel, « le Parlement demeure indispensable, irremplaçable, dès lors qu’il se situe au cœur même de la démocratie au point de s’y identifier ».
Aujourd’hui, le Parlement peine à apparaître comme le lieu de la démocratie tant le fait majoritaire associé à l’existence d’une « majorité présidentielle » semble entrainer une unité du pouvoir politique au profit du Président. La discipline de vote renforce encore le phénomène comme le montre la thèse de Mme Dorothée Reignier que j’ai dirigée (La discipline de vote dans les assemblées parlementaires sous la Ve République). Dans ces conditions, le Parlement doit se réinventer, bouleverser ses habitudes et ses méthodes pour redevenir le lieu ou le symbole de la démocratie, mais d’une démocratie différente de celle des IIIeet IVeRépubliques ; d’une démocratie gouvernante davantage à la recherche de l’efficacité politique et juridique mais aussi respectueuse du débat et des droits de l’opposition.
C’est dans ce cadre que s’inscrivent plusieurs de mes travaux. Surtout, c’est l’objetdu programme de recherche sur « le Parlement et le temps » que j’ai initié et porté et qui analyse comment le temps influe sur les assemblées parlementaires de cinq États (France, Royaume-Uni, Allemagne, Belgique et Italie) et sur le Parlement européen et comment elles tentent de gérer cette ressource si précieuse. Ce programme de recherche, qui a déjà débouché sur des contributions (pour le GEVIPAR et pour l’Université d’Hokkaido au Japon), des articles mais aussi sur l’organisation d’un colloque (7 et 8 décembre 2016 à l’Assemblée nationale et au Sénat) et la direction d’un ouvrage collectif, est encore poursuivi actuellement. Il est aussi à l’origine de ma participation à une table ronde organisée par le groupe de travail sur la réforme du travail parlementaire mis en place par François de Rugy et présidé par Jean-Luc Warsmann.
Axe 2 : La relation gouvernés - gouvernants
La crise de la démocratie représentative a fait naitre une double exigence de probité et de transparence qui transforme le regard des citoyens envers les gouvernants. Mes travaux s’intéressent à ces phénomènes, qu’il s’agisse de la probité des élus dans le cadre d’un statut aux contours exigeants mais dont les interstices laissent encore place à une grande opacité, ou de la transparence qui en réalité ne donne à voir aux citoyens que ce que les institutions veulent bien laisser voir. De sorte que la transparence devient un instrument communicationnel qui permet certes aux citoyens de mieux voir ce qui est exposé en pleine lumière comme le statut des anciens présidents de la République ou le patrimoine et les intérêts des parlementaires, mais laisse des pans de l’action politique et du statut des gouvernants dans l’ombre. Si bien que la lumière est finalement susceptible d’aveugler.
En outre, la volonté des citoyens semble être de participer davantage au fonctionnement institutionnel de notre pays et aux choix politiques. Mes recherches s’intéressent aux mécanismes pouvant réaliser ces objectifs et ainsi renouveler, voire restaurer, la confiance entre gouvernants et gouvernés.
C’est, pour partie, ce qui nous pousse, dans une volonté de diffusion du savoir, à entreprendre la rédaction d’ouvrages à vertu pédagogique afin de participer, à notre manière, à la réalisation de la démocratie. Il s’agit d’un exercice fort stimulant de synthèse dans le cadre duquel j’ai veillé à introduire, autant possible dans un tel format, l’indispensable distanciation critique.
Axe 3 : Les garanties juridictionnelles, nouvel horizon démocratique ?
La relation renouvelée des citoyens au Pouvoir et aux institutions s’est également traduite par d’importantes évolutions affectant les juges et leur jurisprudence si bien que le recours au juge apparaît désormais comme une garantie démocratique majeure. Délaissé qu’il se sent par les institutions politiques, le citoyen, devenu justiciable, se tourne vers les juridictions pour exister face au Pouvoir. Une thèse dont j’assure la direction vient de débuter sur « le justiciable, acteur de la démocratie » (Mme Nina Paly).
Les activités régaliennes de l’Etat sont désormais mieux contrôlées par le juge. Outre les missions, ce sont aussi les actes des organes de l’Etat qui sont mieux contrôlés. De sorte qu’il est possible d’analyser l’emprise croissante du droit sur les actes de l’exécutif par une limitation de la théorie de l’acte de gouvernement ou par la référence à de nouveaux instruments de protection des droits et libertés. Cette évolution est observable partout en Europe mais aussi dans des pays extra-européens. Sous ma direction est en cours une thèse sur l’évolution de la justice constitutionnelle en Afrique noire francophone (M. Kouassi Jacques Kouakou).
Un cran supplémentaire a été franchi avec l’apparition de la question prioritaire de constitutionnalité. Elle contribue, d’une part, en élaguant de notre droit des dispositions inconstitutionnelles, à protéger davantage le justiciable contre l’abus de pouvoir législatif, et, d’autre part, à transformer les pratiques et comportements des acteurs du droit qui s’approprient cet instrument, lequel en devient d’autant plus démocratique.
Cependant, malgré un contrôle juridictionnel toujours plus poussé, celui-ci ne garantit pas la qualité de l’écriture de la règle de droit. Des décrets et des lois, rédigés dans l’urgence, souffrent d’un manque de cohérence rédactionnelle. Ce problème est cause d’insécurité juridique, ce qui nuit aux citoyens. Subissant l’instabilité et l’illisibilité de la règle de droit, le citoyen se détourne de la règle, ce qui porte atteinte à la vie en société et, partant, à la démocratie.