Fabienne Blaise
- FACULTE DES HUMANITES
- DEPARTEMENT LANGUES ET CULTURES ANTIQUES
Présentation
Parcours professionnel
- Assistante de Jean Bollack (1983-1989), employée par la Maison des Sciences de l’Homme (Paris), j’ai, parallèlement à mes travaux (sur l’histoire de l’interprétation du Protagoras de Platon et Hésiode), contribué notamment à la préparation et à l’édition du commentaire de l’Œdipe roi de Jean Bollack.
- La préparation d’une thèse de Doctorat sur l’ « Histoire de l’interprétation du Protagoras de Platon » m’a amenée à fréquenter les acteurs français, allemands, anglais et italiens du débat philologique des 19ème-20ème siècles et à analyser les processus de légitimation théorique qui sous-tendent les lectures, parfois antinomiques, d’une même œuvre
- Centrée exclusivement sur la recherche jusqu'en 1990, j’ai préparé seulement ensuite l’agrégation, obtenue en 1991.
- Après un an de stage en lycée, j’ai été recrutée comme ATER à l’université Lille 3, puis comme maître de conférences (1995). J’ai enseigné la langue et la littérature grecques à tous niveaux (de la L1 à l’agrégation, séminaires de C2.
Grâce à une délégation de 2 ans au CNRS (2001 à 2003), j’ai pu développer le projet de recherche qui sera au cœur de la préparation de mon habilitation à diriger des recherches.
- En 2000, le directeur de l’UMR « Savoirs et textes » (Jean Celeyrette) m’a demandé d’en assurer la direction adjointe.
J’ai créé (2000) une revue interdisciplinaire, Methodos, depuis en ligne, et monté un programme de recherche sur le problème de la preuve en sciences humaines, qui a obtenu un financement important dans le cadre des premières ACI (action concertée incitative).
- Elue en 2003 directrice de l'UMR, j’ai eu à reconfigurer pour le quadriennal 2006-2009 le laboratoire afin d’accueillir une équipe de linguistes, en veillant à préserver la cohérence scientifique du laboratoire. J’ai dirigé cette nouvelle UMR (« Savoirs, textes, langage » , STL) de 2006 à 2008.
- De 2000 à 2008, j’ai organisé l'activité de l'axe 1 de l’UMR (« Les formes de discours poétiques dans l'Antiquité classique et leurs interprétations ») et créé un séminaire (« Poésie et philosophie : présentation de travaux ») qui permettait aux doctorants de présenter leur travail à l’ensemble des chercheurs impliqués dans cet axe. J’ai aussi coordonné le doctorat international Lille-Trente (philologie classique).
- J’ai soutenu mon HDR en décembre 2006 : mon travail sur les poèmes politiques de Solon (Entre les dieux et les hommes : Solon le "poète-roi", 472 p.) constituait l'ouvrage original.
- Professeure à Lille 3 à partir de 2007, mon expérience de l’organisation et de la direction de la recherche a amené la présidence de Lille 3 à me demander de me présenter à la direction de la Maison européenne des sciences de l’homme et de la société (MESHS, 2008). Elue par les directeurs et directrices des 26 laboratoires alors associés à la MESHS (couvrant la majeure partie des disciplines de SHS), j’en ai assumé la direction de sa création (janvier 2008) jusqu'à mon élection à la présidence de l'université Lille 3 (mai 2012). Il s’est agi de donner à la recherche en SHS en région plus de visibilité, d’en structurer les forces, d’encourager les recherches interdisciplinaires entre SHS et SHS et autres sciences, et les collaborations avec les collectivités et le monde socio-économique.
- La connaissance acquise de l'ensemble de la recherche en région et de tous les partenaires (collectivités, associations, mondes culturel et socio-économique) m'a amenée à me présenter en 2012 à la présidence de l'université Lille 3.
Parcours scientifique
Après un doctorat sur l’ « Histoire de l’interprétation du Protagoras de Platon » (soutenu en 1990), qui m’a amenée à fréquenter les acteurs français, allemands, anglais et italiens du débat philologique des 19ème-20ème siècles et à mieux comprendre les processus de légitimation théorique qui sous-tendent les lectures, parfois antinomiques, d’une même œuvre, je me suis tournée vers l'analyse des textes poétiques : Hésiode, élégiaques (en particulier Solon), les Tragiques, notamment Euripide.
Deux questions orientent mes recherches les plus récentes :
- Comment s’élaborent chez les élégiaques les prémisses de la pensée éthique et politique. Il s'agit de mettre au jour, par un déchiffrement méthodique des textes, considérés dans leur cohérence interne, une position dont certains historiens avaient pressenti la nouveauté sans en donner une définition adéquate faute d'une analyse textuelle précise. Ce travail interprétatif, qui tient compte du caractère poétique de ces textes sans le considérer comme prétexte à négliger leur contenu politique et éthique, vise à mieux saisir comment la pensée pratique s'est élaborée à une époque où la poésie était un véhicule essentiel de la diffusion des normes. Il est maintenant admis que les poèmes des "présocratiques" proposent une réflexion (philosophique) que l'on ne peut comprendre que par une analyse philologique des textes. Le présupposé est aussi pertinent pour le corpus des poèmes moraux et politiques composés par les élégiaques de l'époque archaïque.
- Comment fonctionne la création poétique, ancrée dans sa tradition. Cela m’amène à interroger la pertinence de la notion de genre, trop restrictive, même anachronique, en ce qu’elle impose un schéma qui ne correspond pas à la réalité de la production poétique (comment comprendre que le Sage Solon ait pu composé des élégies mais aussi des iambes ? où classer l’Alceste d’Euripide, qui, sans satyres, prend la place d’un drame satyrique, ou les Bacchantes, qui parodient sans doute Aristophane sans rien perdre de leur force tragique ?).
Deux hypothèses guident ma pratique.
- Celle de l’opacité première du texte. Les obstacles à notre compréhension sont liés à la distance linguistique et culturelle, mais aussi au fait que le discours individuel, qui s’affirme dans la particularité d’une œuvre, est à chaque fois singulier.
- L’hypothèse que toute œuvre de langage est à la conjonction des conditions objectives qui la déterminent (langue, contexte historique) et de l’expression d’une individualité. Le problème est alors de mettre en évidence la manière dont le texte élabore le donné dont il dispose et dont il ne peut faire abstraction pour produire un discours nouveau.
Cette hypothèse peut sembler risquée quand on travaille sur des poètes archaïques comme Hésiode ou Solon, d’abord parce que la poésie orale, dont ces poètes relèvent, recourt à un matériau formulaire qui paraît déterminer son mode d’expression et son contenu, ensuite parce que la notion d’individualité peut sembler inadéquate pour des poèmes à propos desquels l’idée d’auteur paraît problématique. Les textes transmis sous le nom d’Hésiode ou de Solon peuvent toutefois difficilement être réduits à des ensembles codifiés, alors que les Anciens eux-mêmes, en les attribuant à un Hésiode et à un Solon, cernent une individualité qui devait faire sens pour eux. Une lecture attentive peut en outre observer des processus de variations clairement distinctifs.
Mon travail sur Solon m’a ainsi amenée à considérer que la reprise de formules, de représentations, de canevas narratifs traditionnels ne doit pas opérer comme un leurre. Ce n’est pas parce que ses poèmes foisonnent de reprises d’Homère et d’Hésiode qu’il faut en conclure, comme on l’a fait parfois, qu’ils ne disent rien d’autre qu’Homère et Hésiode. Une lecture précise repère sous les répétitions apparentes des différences sensibles, qui font sens. La formule subit des variations, le canevas narratif ou des éléments de représentations traditionnels sont placés dans un contexte différent : l’usage manifeste de la variante permet à la poésie archaïque d’innover. Mon travail tente ainsi de montrer que les variations repérables vont dans le sens d’une singularisation du discours, qui utilise, même critique la tradition qu’il réélabore.
Montrer comment le poème construit sa diction propre en utilisant les possibilités d’expression offertes par les structures sémantiques ou narratives de sa tradition poétique pour produire un discours nouveau et cohérent revient à dégager une unité singulière de sens. Cette unité est ce que j’appelle l’individualité d’un sens et distingue de l’individu historique. Il ne s’agit pas de retrouver un sujet biographique, mais de mettre en évidence à travers le travail de réorganisation de la tradition un projet réflexif.
J’ai tenté ainsi, pour Solon, de manière plus précise et systématique que je ne l’avais fait pour Hésiode, de repérer les reprises formulaires, de saisir la portée des variations ou des reprises dans un contexte autre que le contexte épique auquel elles sont empruntées. J’ai pu reconstruire la logique qui régit cette réorganisation du matériau traditionnel en montrant que le discours théorique de Solon est indissociable du métier poétique qui en est la condition, et que l’utilisation réfléchie de la tradition permet à la poésie solonienne d’innover.
Le Solon que cette étude des poèmes a ainsi dégagé est assez loin de l’image tranchée qu’en donnent souvent les commentateurs. C’est un Solon poète et politique, placé entre les dieux et les hommes, qui réfléchit sur son action. Les trois poèmes les plus longs (4, 13 et 36 West) posent, chacun à sa manière, la question de la possibilité de l’action politique située dans la tension entre ordre divin, qui est le modèle vers quoi doit tendre l’activité du politique, et le désordre humain, qui est ce avec quoi doit composer le politique. S’ébauche comme solution l’existence d’un individu unique et providentiel, conscient de cette tension : un poète homme d’action. Les poèmes, dans leur mode d’énonciation, soulignent le problème que pose cette figure politique particulière. Comment être ce législateur qui par sa fonction fait le dieu en imposant les règles aux hommes, mais qui par sa nature n’en reste pas moins un homme ? Pour la première fois dans ce qui nous est parvenu se laisse saisir une pensée spécifiquement politique, qui exprime sous différents aspects le caractère problématique de son objet : l’action humaine. Apparaît aussi un poète qui joue avec les formes poétiques dont il dispose (iambe, élégie) pour faire passer les différents aspects d’un discours qui met en scène, grâce à la forme, ses difficultés théoriques.
Mon travail sur les Tragiques, plus ponctuel, interroge, via une relecture détaillée des textes, les limites qui leur sont apparemment imposées. Plus largement, il s’agit de mieux saisir la dynamique propre à la création poétique grecque, poésie hellénistique comprise.
Cette réflexion est relayée par certains des travaux de recherche que je dirige : sur la réception de Solon, au Vème-IVème siècle, qui construit l'image de Solon dont nous avons hérité, sur la manière dont les Tragiques parviennent toujours à créer du neuf, tout en reprenant les mêmes histoires et dans un cadre formel relativement contraignant, et sur Théocrite, et sa façon de revisiter ses prestigieux modèles pour créer des poèmes véritablement innovants.