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Axes de recherche

1. L’écriture de l’histoire au croisement de la fiction et du tournant méthodique.

 

En relation étroite avec ma participation au comité de rédaction de la revue Écrire l’histoire, j’ai mené une recherche sur l’écriture de l’histoire écrite par ceux qui ne sont pas, stricto sensu, des historiens, mais seulement des pratiquants de l’histoire. Romanciers, artistes, poètes contemporains, critiques de Jazz pour le XXe siècle, mais aussi – pour le premier XIXe siècle – les écrivains romantiques. Cette recherche s’est adossée au séminaire Créer l’/Histoire que j’ai créé avec Sylvie Aprile, historienne du XIXe siècle (Paris Ouest), à l’Université de Lille III et qui a duré 2 ans. Au cours de ce séminaire, des chercheurs en Histoire et des chercheurs en Lettres ont rencontré des artistes contemporains autour de grands axes de réflexion : la question de l’usage des sources, la question de l’imagination, celle du poème d’histoire, la pratique de l’exposition et de l’installation[1] .

 Parallèlement, j’ai aussi travaillé sur les emblèmes, plus particulièrement, sur les drapeaux au XIXe siècle : à la tribune, dans les romans, car je m’intéresse à la façon dont l’écriture et/ou la parole font image pour faire histoire – quand il s’agit prendre position dans le cadre d’une polémique. Ce qui m’a intéressé est la conflictualité des prises de parole au sujet de l’histoire et de son écriture. J’ai aussi parallèlement entamé une recherche qui concerne l’espionnage romantique dans la première partie du XIXe siècle : c’est une recherche qui me tient très à cœur car elle permet de réfléchir à un ancrage politique nouveau pour la circulation de la voix (tribune mais aussi voix intérieures) dans les romans et les ouvrages d’histoires apparentés type Mémorial Sainte-Hélène, journaux, carnets mais aussi toute la littérature historienne de guerre. C’est aussi un très bon angle d’attaque pour travailler la veine fictionnelle dans des ouvrages qui s’y refusent en apparence (le petit fait ou la scène, reflets des exempla rhétoriques) et, simultanément pour questionner les œuvres tous genres confondus dans une perspective politique. Dans quelle mesure ces textes du premier romantisme qui fourmillent d’espions sont-ils les témoins poétiques d’une construction de la démocratie moderne héritière des Lumières (mais héritière seulement en partie) ? J’ai travaillé ainsi sur le Journal tenu par Stendhal pendant la campagne napoléonienne de Russie, sur ses Mémoires sur Napoléon, sur ses Souvenirs d’égotisme ainsi que sur ses Chroniques italiennes pour montrer comment la société civile elle-même est décrite souterrainement informée par la guerre telle qu’elle s’importe dans les salons, dans les relations interpersonnelles, dans les enjeux de description romanesque et intime de la sociabilité. Ce sont évidemment des questions qui interrogent aussi notre présent démocratique, fortement ravivées comme elles l’ont été par l’affaire Snowden ainsi que, de façon plus contemporaine encore, par l’usage stratégique des sources fait par l’État russe dans les campagnes électorales européennes et américaine. Plus largement, en effet, il s’agit de penser en quoi notre modernité est héritière de représentations poétiques et politiques qui doivent encore beaucoup à une façon de penser le politique hors des cadres des institution représentatives élues démocratiquement et hors des institutions de régulation officielles de la parole gouvernementale. J’ai travaillé dans cette direction de façon peut-être un peu moins formelle que lors de mon travail doctoral au cours duquel les tribunes romantiques exhumées ne s’émancipaient jamais du berceau institutionnel qui les avaient vues naître. Cette ligne de recherche est toujours active aujourd’hui : outre qu’elle a donné lieu à une série de reportages littéraires dans la revue Vacarme, ainsi qu’à l’organisation avec Sylvie Aprile d’une journée d’étude Parler en guerre XIXe et XXe siècle, elle va trouver aussi un aboutissement académique dans ma participation au colloque international sur Les villes européennes en guerre XIXe siècle et XXe siècle organisé cette année à Frankfurt par Dr. Frank Estelmann de l’Institut für Romanische Sprachen und Literaturen de la Goëthe-Universität.

 

2. L’archive romantique et son inscription lyrique

 

Travailler sur l’écriture de l’histoire m’a conduit également à m’intéresser à la question de l’archive romantique au cours du long XIXe siècle. Cet intérêt m’a conduit à être sollicité pour être membre du comité scientifique du colloque Archive(s)19 (CERILAC, Paris-Diderot, 2014), organisé par Claude Millet. J’ai aussi fait une longue intervention au cours du séminaire Archives 19 (CERILAC, Paris-Diderot, 2013-2014) organisé en amont de ce colloque au cours de laquelle j’ai tenté de réfléchir à partir de Chateaubriand et de son livre Des études historiques dans lequel il expose la nouveauté de l’historiographie moderne au cours de son temps qui désormais se préoccupe avant tout de la « vérité matérielle » des sociétés passées qui sont l’objet des études historiques[2]. L’exigence de vérité matérielle, c’est bien elle qui nait avec la découverte de sources qui traitent d’une autre histoire que l’histoire officielle ou diplomatique seulement passionnée par batailles, traités et guerres : « La société demeure inconnue, si l’on ignore la couleur du haut-de-chausse du roi et le prix du marc d’argent[3] », précise Chateaubriand avec ironie. Le détail économique, artisanal, matériel englue l’écriture du récit et empêche la peinture tranquille de l’histoire. Ce qui fait le cœur de mon intérêt pour cette question est la façon dont l’avènement de la source en historiographie moderne conduit surtout à empêcher la sublimation du passé : désormais, alors que le tournant de l’histoire méthodique se prépare, la discipline de l’histoire s’intéresse essentiellement à ce qui n’est pas elle, à ce qui lui échappe, à ses marges constituées de sources, documents, archives. J’ai donc lu les historiens romantiques depuis le prisme de nos historiens contemporains, ceux qui ont eu à cœur de penser réflexivement leur pratique d’historiographe : Paul Veyne, Michel de Certeau, Michel Foucault, Arlette Farge mais aussi Marc Bloch. Cette intervention doit donner lieu à un article pour la revue Romantisme. J’ai aussi, toujours dans la même démarche, fait une contribution sur l’écriture des archives chez Augustin Thierry au cours du colloque international Augustin Thierry, entre histoire et mémoire co-organisé par Yann Potin (Archives nationales) et Aude Déruelle (Université d’Orléans) en octobre 2013. J’ai aussi travaillé sur le traitement lyrique des archives chez les poètes contemporains du XXIe siècle : pour poursuivre ma quête de la transformation poétique de la source, des écritures romantiques du premier XIXe siècle jusque dans l’écriture contemporains : dans l’œuvre des poètes Dominique Fourcade, Patrick Bouvet et Pascalle Monnier. L’objet de ma recherche était de comprendre à quelle « mesure lyrique », ces poètes ont soumis les archives sur lesquelles ils ont travaillé. La réécriture lyrique insère une voix dans la source qui fait disparaître la médiation initiale qui est l’archive. Quand les poètes s’emparent des archives, ils les investissent d’un corps visible dans une métrique qui fictionnalise le passé. Tous, d’ une manière ou d’une autre, cèdent à la tentation vécue par les historiens, et si bien décrite par Arlette Farge dans Le goût de l’archive, de se laisser entraîner par cette tentation vécue par les historiens, assimilés par Marc Bloch à ces ogres de légende qui, affamés de chair fraîche, cherchent à retrouver le vivant derrière la trace[4]. Cependant l’enjeu d’une telle recherche n’est pas de diminuer le travail d’historien effectué par les poètes mais de comprendre ce qui fait leur spécificité, de quelle manière, eux aussi font de l’histoire et comment, à partir même des prescriptions de l’historiographie moderne, on peut déceler une poétique autant qu’une éthique de l’écriture perceptibles « en » lyrisme. Cette recherche a donné lieu à une contribution au colloque Imagination et Histoire (Imag’his, LARHA, GRAC UMR 5037, CERC, EA 1633) co-organisé par Matthieu Devigne (Paris IV), Monica Martinat (Lyon 2), Pascale Mounier (Lyon 2) et Marie Panter (ENS de Lyon) à l’École Normale Supérieure de Lyon en novembre 2012.

Cet intérêt pour les pratiques poétiques contemporaines, jamais coupé de mon terrain de recherche de départ – le premier romantisme – justifie aujourd’hui que je souhaite travailler conjointement sur mon siècle d’origine au regard de ses avatars contemporains d’aujourd’hui, en m’éloignant, cette fois, de la problématique de l’écriture de l’histoire, pour me rapprocher de la tribune et des pensées critiques qu’elle rend opératoire, ce qui fonde l’objet du projet de recherche exposé dans cette demande de délégation CNRS pour l’année 2018/2019.

 

[1] Programme du séminaire disponible sur le carnet de recherche créé à ce propos sur le site Hypothèse.org

Adresse : crehist.hypotheses.org/date/2013/04

[2] François René de CHATEAUBRIAND, Des études historiques (1831), édition établie par Michel Brix, préface de Michel Crépu, Paris, Bartillat, 2011.        

[3] Op. cit., p. 36

[4] « Quel historien n’a rêvé de pouvoir, comme Ulysse, nourrir les ombres de sang pour pouvoir les interroger ? » Marc BLOCH, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien (1949), Paris, Armand Colin, 1952, p. 72.