Histoire littéraire et culturelle de la RDA

Un premier axe de recherche concerne l’histoire littéraire et culturelle de la RDA, avec une interrogation sur le champ littéraire de la RDA, les tensions entre recherche d’autonomie et hétéronomie et la volonté de situer le plus précisément possible différents courants et auteurs dans leurs rapports avec le discours officiel et le pouvoir. Ainsi, dans mon travail de thèse qui est à la base de ces réflexions, il s’agissait de préciser, à partir des prises de position et des productions poétiques publiées dans un corpus d’une vingtaine de revues autoéditées en RDA dans les années 1980, la place de ces auteurs relégués à la marge du champ littéraire. L’approche bourdieusienne permettait de décrire les conflits dans le champ littéraire est-allemand pendant cette période et de concevoir une pluralité de positions qui ne pouvaient se réduire à l’antagonisme souvent affirmé entre soumission et dissidence. J'ai ensuite continué à explorer le corpus de ma thèse sous différents angles et thématiques. Plus récemment, le questionnement sur la réception des avant-gardes et de la modernité en RDA m’a conduit à m’intéresser à la poésie de Wolfgang Hilbig et à l’influence du poète futuriste russe Vélimir Khlebnikov dans son œuvre, ainsi qu'à l'influence des avant-gardes russes et soviétiques sur Thomas Brasch.

Après un travail de thèse consacré à un phénomène très particulier de la littérature de RDA, j’ai voulu reconsidérer d’autres périodes dans une perspective diachronique. Ainsi, je me suis intéressée aux années 1950, période très fortement marquée par l’ingérence du politique dans le champ littéraire, pour questionner les marges de manœuvre de la littérature face aux injonctions du discours officiel. Dans ce cadre, je me suis intéressée au « roman d’usines », puis à la représentation des expériences de la Seconde Guerre mondiale dans ce corpus, notamment l'expérience de la fuite et de l’expulsion qui, contrairement à l’idée très répandue que ce sujet était un « tabou » en RDA, était bien évoquée dans les textes littéraires. 

J'ai également souhaité réinterroger un des concepts-clés de la RDA – l’antifascisme. Trop souvent réduit à la seule acceptation idéologique, il s’agissait de revenir aux bases historiques de l’antifascisme, d’ouvrir un regard comparatiste avec d’autres pays et de distinguer, pour la RDA, faits historiques et discours idéologique. Des études sur l’œuvre de Franz Fühmann et de Stephan Hermlin ont également été nourries par des réflexions sur leur lien avec l’antifascisme officiel.

Actuellement, je m'intéresse à la presse culturelle en RDA. Alors que les phénomènes de contrôle, de domination et d’atteinte à la liberté de la presse par les institutions de l’État ont fait l’objet de multiples travaux, il n’y a, à ce jour, que très peu d’études portant sur l’analyse fine du corpus d’un périodique en particulier, notamment dans le cadre de la presse à vocation culturelle et/ou grand public. Or, les contenus publiés sont des indicateurs précieux sur les pratiques politiques et sociales effectives à l’échelle micro-sociale, ce sont des sources authentiques pour déterminer les discours en circulation et la construction des savoirs. Je me consacre notamment au mensuel grand public Das Magazin et, dans le cadre d'un projet collectif, à l’hebdomadaire culturel Sonntag (« projet émergent » PERARTEM soutenu par la MESHS de Lille). Voir aussi https://sonntagfr.hypotheses.org/ 

 

Littérature contemporaine de langue allemande

Un deuxième axe de recherche est constitué par des travaux sur la littérature contemporaine de langue allemande, en particulier sur son rapport au passé, recoupant par là des réflexions déjà présentes dans le premier axe. Un premier sous-axe concerne la résurgence du passé national-socialiste et de l’expérience de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah dans la littérature contemporaine. Afin de dresser un premier bilan des sujets traités, des débats déclenchés et des formes esthétiques choisies, j’ai dirigé en 2006 un dossier de la revue Allemagne d’aujourd’hui à ce sujet. Ensuite, en recourant aux apports méthodologiques des études mémorielles et au concept de génération, je me suis penchée sur l’expression littéraire de différentes mémoires articulées dans les œuvres littéraires : mémoire des victimes et mémoire des « bourreaux ». Ainsi, j’ai analysé le traitement de la mémoire de la fuite et de l’expulsion chez des écrivains de la deuxième génération à l’Ouest et à l’Est. Du côté de l’expression littéraire de la mémoire des victimes, une réflexion a été engagée sur le concept de post-mémoire, sur le rapport entre fiction et factualité, la question du « témoignage » et l’expression du trauma dans des textes provenant d’écrivains allemands de la deuxième et troisième génération, comme Kevin Vennemann, Steffen Mensching ou W.G. Sebald. Dans le prolongement de mes travaux sur la littérature de RDA et sur l’antifascisme, mais également sur les représentations de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah dans la littérature contemporaine, il faut mentionner l’ouvrage codirigé avec Katja Schubert (Störfall? Auschwitz und die ostdeutsche Literatur nach 1989, 2016) qui se confronte aux thèses de Wolfgang Emmerich stipulant qu’il n’y avait pas de confrontation à la Shoah dans la littérature de RDA, ni dans la littérature est-allemande après 1989. Le livre, notamment son introduction, invite à reconsidérer cette question de façon plus nuancée.

Un deuxième sous-axe interroge les productions d’une nouvelle génération de jeunes auteurs originaires de RDA qui mettent au centre de leurs textes leurs souvenirs d’enfance et de jeunesse en RDA. Il s’agissait de problématiser leur rapport au passé, d’en déterminer les modalités et les différentes écritures. D’un côté, on trouve des œuvres qui réclament leur littérarité et mettent en scène des procédés de distanciation fictionnelle par rapport à leur objet. De l’autre, on peut lire des mémoires et des souvenirs d’enfance qui sont présentés comme des textes référentiels dont les auteurs seraient des « témoins » d’une époque révolue. À l’exemple de ces deux courants, j’ai analysé les rapports entre mémoire/post-mémoire et recherche identitaire à l’intérieur d’une génération pour qui la chute du Mur constitue un événement de rupture significatif. Plus récemment, dans le cadre de mon habilitation, j’ai élargi cette réflexion pour tenir compte de la composante temporelle, en m’interrogeant comment les œuvres reflètent le changement du régime temporel intervenu après 1989 (cf. Carola Hähnel-Mesnard, Zeiterfahrung und gesellschaft-licher Umbruch in Fiktionen der Post-DDR-Literatur. Literarische Figurationen von Zeitwahrnehmung im Werk von Lutz Seiler, Julia Schoch und Jenny Erpenbeck, Göttingen, V&R unipress (= Deutschsprachige Gegenwartsliteratur und Medien, Bd. 28), 2022, 293 p.).

Culture, mémoire et identité

 

Un troisième axe relie les questionnements présents dans les deux axes précédents autour des notions de culture, de mémoire et d’identité, et cela également dans une perspective interdisciplinaire et transnationale. Il s’agit d’extrapoler les résultats de mes recherches en littérature et de les confronter à d’autres domaines de recherche.

Premièrement, il s’agissait de questionner le rapport entre culture et mémoire des violences et conflits du XXe siècle sous l’angle de leurs représentations dans la littérature, dans les arts et dans les musées, et cela de façon transversale à travers différentes aires culturelles. La perspective inter- voire transdisciplinaire et transnationale permet ainsi de faire ressortir des similitudes dans l’interrogation du passé, dans les approches et formes utilisées (cf. C. Hähnel-Mesnard, M. Liénard-Yeterian, C. Marinas (dir.), Culture et mémoire. Représentations contemporaines de la mémoire dans les espaces mémoriels, les arts du visuel, la littérature et le théâtre, 2008).

Dans la même optique, mes études sur la représentation de la fuite et de l’expulsion dans la littérature de RDA et dans la littérature contemporaine m’ont convaincue que cette mémoire ne pouvait être envisagée uniquement dans sa dimension nationale et qu’il était essentiel de tenir compte de son impact sur les constructions d’identités et de mémoires en Europe centrale (cf. C. Hähnel-Mesnard, D. Herbet (dir.), Fuite et expulsions des Allemands : transnationalité et représentations, 2016). 

Le travail sur la littérature de jeunes auteurs originaires de RDA a fait ressortir l’importance de la question de l’identité et son influence sur la construction d’une mémoire collective spécifiquement est-allemande (cf. E. Goudin-Steinmann, C. Hähnel-Mesnard (Hg.), Ostdeutsche Erinnerungsdiskurse nach 1989. Narrative kultureller Identität, 2013).