Deux mots clefs résument mes thématiques de recherche : lexique et traduction.

 

Ils se retrouvent dans la thématique principale de l'axe de recherche du centre de recherches CECILLE (EA 4074), que j'ai dirigé (2006-2010) puis que je co-dirige (depuis 2010), l'axe 4, « Traduction et Médiation » (http://cecille.recherche.univ-lille3.fr/axes-de-recherche/lexique-et-traduction/), héritier du centre de recherches ELEXTRA (« Études sur le Lexique et la Traduction), que j'ai fondé en 1995. Cet axe fédère aujourd'hui les chercheurs anglicistes en traduction (9) et ceux (8) d'autres couples de langues (français-japonais, -russe, -néerlandais, -allemand, -suédois, -polonais, -chinois...). Son programme est défini sous le lien ci-dessus.

Il s'agit pour moi de mener en parallèle et d'articuler les recherches en traduction et celles sur le lexique, plus spécifiquement la lexicographie bilingue et la lexicologie et argotologie comparée anglais-français : c'est l'originalité de ma thématique, et donc celle de l'axe de travail de l'équipe, même si, évidemment, tous ses membres ne travaillent pas comme moi dans tous les champs mentionnés.

 


Dans le champ de la recherche en traduction, j'ai repris le concept de « lexiculture » (tel que défini par Robert Galisson, 1992), que j'ai développé et appliqué à la traduction (puisque, à l'origine, il était posé dans une perspective FLE), le renommant aussi « lexiculturel ». J'ai explicité la définition et l'intérêt de cet outil dans plusieurs articles ou communications et je l'ai utilisé pour explorer les problèmes posés par la traduction des éléments dits culturels en conjonction avec le lexique, dans des unités isolées comme dans des unités plus larges (proverbes ou titres de presse, par exemple). Ce concept est précieux du point de vue de la didactique de la traduction et se rattache à toutes les problématiques de l'acclimatation, du débat sourcier vs cibliste, de l'étrange étranger, mais aussi de la traduction de l'humour, qui est un domaine de prédilection, que j'ai plusieurs fois exploré (notamment dans le cadre de deux journées d'étude que j'ai organisées).

Je me suis également penché sur les problèmes de la traduction de l'oralité (qui possède une dimension « culturelle » : ainsi j'ai exploré la traduction des accents), et donc les enjeux, contraintes et défis de la traduction du dialogue (ce qui a une application directe dans la traduction pour l'audiovisuel). Cette thématique rejoint naturellement la traduction des argots, qui a une dimension lexicographique et lexicologique évidente, d'où un certain nombre de recherches où j'ai confronté la pratique de traducteurs professionnels, celle des traductologues et théoriciens de la traduction et la mienne propre, alimentée de mes travaux sur la représentation lexicographique des argots et de mes travaux de rédaction de dictionnaires (dont la co-rédaction du Harrap's English-French Slang Dictionary (1993) ; voir « publications »).

La réflexion sur la traduction des argots a débouché sur de plus larges problématiques, lexicologiques, celles-là, d'une part celle de la formation des argots, en français et en anglais, du point de vue tant formel que sémantique, d'où la proposition d'un modèle de « machine à créer du lexique » (formule de Louis-Jean Calvet, 1994) qui permet de rendre compte du lexique argotique dans les deux langues (et de mener des comparaisons fructueuses en vue de la traduction des argots) à l'aide d'un ensemble clos de matrices formelles et d'une série de matrices sémantiques hiérarchisées, qui s'avère être close elle aussi, une fois que l'analyse sémique d'un ensemble de désignations argotiques a été menée ; j'ai décrit et mis à l'épreuve cette machine dans plusieurs communications et publications, et je prétends volontiers que les argots sont des « langues de spécialité », tout comme celles utiles à la branche juridique et technique du Master MéLexTra.


 

L'autre problématique, intimement liée, est celle de la traduction de la métaphore, qui m'a mené à une tentative de description du mécanisme de la métaphore à partir des argots français et anglais, au fonctionnement métonymique et métaphorique indubitable (les argots comme « langues » de déplacement). J'ai ainsi, au fil de plusieurs études, proposé un modèle de fonctionnement de ce que j'appelle « équation métaphorique » autour de ce que je définis comme « effet de loupe », inscrit dans l'approche de l'analyse componentielle et s'appuyant sur des ensembles de plus en plus larges de productions lexicales des argots, tant français qu'anglais (la visée est donc aussi comparative, et de représentation lexicographique, dans une perspective bilingue). Cette nouvelle approche du mécanisme de la métaphore permet donc de raisonner sur la traduction des argots dans le cadre du dictionnaire (donc approche fragmentée) autant que dans celui du texte littéraire, par exemple, où sa présence peut affleurer (items dispersés, sortes de témoins de registre) ou faire partie du projet de l'auteur, donc de la représentation d'une réalité dont la traduction doit rendre compte sans trahison (ou avec perte et trahison minimes) : les questions de la déperdition de sens se posent ici, naturellement, et le raisonnement autour des sèmes de transfert est une voie vers une limitation de cette perte, voire son évitement.

 


Ce qui vient d'être rapidement décrit entre en résonance avec ma recherche (appliquée, étant données les années consacrées par ailleurs au travail de rédaction de dictionnaires (16 années de collaboration avec HARRAP) sur la lexicographie bilingue, ses enjeux et ses révolutions successives, que j'ai décrits dans plusieurs articles.

Ce sont les problèmes de la représentation des argots en lexicographie bilingue qui se sont trouvés privilégiés, avec la proposition d'un modèle de dictionnaire nouveau, adapté aux nouvelles technologies, ou plutôt adossé à elles, que j'ai baptisé « dictionnaire savant », dictionnaire à plusieurs niveaux de consultation et d'affichage et donc à plusieurs profondeurs d'information, qui permettrait de consigner et mettre en exergue les mécanismes métaphoriques à l’œuvre dans les argots ; il n'est pas exclu du tout que ce modèle puisse être transposé à la langue générale : j'ai proposé plusieurs pistes sur ce plan, pour la fabrication d'un dictionnaire multi-niveaux, plus riche, ouvert vers l'encyclopédique et même l'unilingue alors qu'il s'agirait d'un bilingue de la même ampleur que les plus larges qui existent aujourd'hui (type Harrap Universal).

 

L'articulation de ces deux thématiques entre elles apparaît donc naturelle, en même temps qu'originale, je crois, et elle est féconde : les deux champs s'éclairent et se répondent l'un l'autre, en particulier autour de la métaphore, la rigueur nécessaire de la lexicographie rejoignant celle, désirée, de la traduction.